Conférence du Pr. Chibli MALLAT Titulaire
de la Chaire Jean Monnet et Directeur du Centre d'études
sur Union européenne, donnée à
l'occasion de la reconnaissance de la Chaire Jean Monnet comme centre d'excellence
par l'UE.
Article de l'Orient - Le Jour du
22 octobre 2004
Par Samer GHAMROUN (Photos Michel SAYEGH)
Le directeur du Centre d’excellence Jean Monnet,
le professeur Chibli Mallat, a donné hier une
conférence sur le thème de « La Constitution
du XXIe siècle : l’Europe et le Moyen-Orient », à l’amphithéâtre
A du campus des sciences sociales de l’USJ, rue
Huvelin, en présence du recteur de l’USJ,
le père René Chamussy, du vice-recteur
Bruno Sion, de l’ancien recteur Sélim Abou,
du doyen de la faculté de droit et de sciences
politiques, Fayez Hajj-Chahine, et du premier secrétaire
de la délégation de l’Union européenne
au Liban, Francisco Acosta, ainsi que d’un grand
nombre d’étudiants.
Le père Chamussy a d’abord pris la parole
pour présenter la conférence « qui
ouvre une série d’autres conférences
dont les auteurs seront parmi les plus prestigieux et
ce, dans le cadre d’un ensemble intitulé “Penser
l’Europe” ». Il a également
annoncé la promotion de la Chaire Jean Monnet
en « Centre d’excellence Jean Monnet pour
l’intégration européenne ».
Le professeur Mallat s’est ensuite lancé dans
sa réflexion sur ce qu’il a appelé « le
phénomène de l’internationalisation
de la Constitution ». « Il ne faut pas prétendre
que les influences étrangères dans la formation
des Constitutions constituent un phénomène
récent » a-t-il déclaré, montrant
en même temps comment les trois expériences
constitutionnelles actuellement en cours en Europe, en
Afghanistan et en Irak, et qui seront étudiées
tout au long de la conférence, « comportent
une forte dose d’interventions étrangères ».
Soulignant l’importance de « la politique
européenne de proximité » pour l’espace
proche-oriental, il a mis en exergue « la nouveauté des
Constitutions irakienne et afghane » par rapport à la
perspective classique fondée sur la dichotomie
gouvernant/gouverné.
C’est alors qu’il a dégagé « les trois tendances
du constitutionnalisme du XXIe siècle » : la religion, le fédéralisme
et la séparation des pouvoirs.
Abordant la tendance religieuse, le professeur Mallat a montré comment
les trois Constitutions susmentionnées ont multiplié dans leurs
textes les références à l’appartenance religieuse,
aux lieux de cultes... et ce en s’éloignant de la position classique
très prudente sur ce terrain.
Quant à la tendance fédéraliste,
elle semble, selon lui, beaucoup plus problématique
aussi bien en Europe, où elle a été dissimulée
dans la Constitution européenne par le terme communautarisme,
qu’en Irak. « Nous allons voir si l’Irak
pourra créer un système fédéral
où les deux clivages identité/religion
et identité/nation pourront coexister »,
a-t-il estimé.
Le troisième élément, tenant à la
séparation des pouvoirs, nous offre, selon M.
Mallat, un paysage encore plus sombre, que ce soit en
Afghanistan où « le sacrifice des contre-pouvoirs
au profit du président est annonciateur de troubles »,
ou bien en Irak « où le chaos et l’autoritarisme
pourront signaler la mort de l’expérience
constitutionnelle dans ce pays ».
La construction européenne ne semble guère plus solide dans ce
domaine. Le professeur Mallat assure cependant que « le problème
du déficit démocratique de l’UE n’est pas dans son
extension », soulignant ainsi la réussite de l’expérience
turque « offrant un exemple de démocratisation plus avancée
en l’espace de cinq ans qu’elle ne l’a été pendant
un siècle ».
Le problème réside essentiellement, pour lui, dans le déséquilibre
des pouvoirs au sein de la construction européenne, aux dépens
d’un Parlement européen inutile, devenu un simple « lieu
de protestation ». « Le Conseil étant indispensable (...),
la mesure la plus sérieuse serait d’annuler la Commission européenne
et de donner plus de pouvoirs au Parlement », a-t-il proposé.
« Si les expériences constitutionnelles
en Irak et en Afghanistan réussissent, c’est
toute la région qui va en bénéficier.
Par contre, si ces deux pays, avec l’UE, replient
leurs Constitutions, c’est une promesse de paix
qui est retirée », a-t-il conclu.
La conférence a été suivie d’une
réception pour le lancement de l’ouvrage
collectif : L’expérience européenne
et le Moyen-Orient : état des lieux.